Entretien
Entretien avec Sébastien Vincent pour «Ils ont écrit la guerre».
En quelques mots, comment présenteriez-vous votre livre ?
Cet essai historique est né d’un constat : les souvenirs, journaux, carnets, lettres du front et romans de guerre publiés par des combattants canadiens-français de la Seconde Guerre mondiale ont peu intéressé les historiens et demeurent souvent méconnus du grand public.
Ces écrits sont peu nombreux et de qualité variable. Ils n’en constituent pas moins des « lieux de mémoire » de l’aventure collective de dizaines de milliers d’engagés volontaires ayant servi outre-mer. Ils apportent un éclairage incomparable, voire irremplaçable, sur l’expérience au « ras du sol » du champ de bataille en Europe et de la détention dans les camps de prisonniers en Asie.
Partant de cette idée, j’ai trié, analysé et critiqué 26 ouvrages consultables à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Ces textes demeurent accessibles aux lecteurs intéressés par le sujet.
Pourquoi s’intéresser aux écrits de combattants?
Malgré leur nombre limité, ces textes sont représentatifs de l’expérience des militaires tout en ajoutant détails et précisions à l’histoire militaire. Mais, surtout, ils ouvrent sur l’imaginaire et les représentations de leurs auteurs. Ils offrent ainsi l’occasion de se pencher sur le complexe processus de la mise en écriture d’un vécu troublant : la guerre.
Quelles questions la lecture de ces textes a-t-elle soulevées en vous ?
Je me suis, entre autres choses, demandé : à quels genres littéraires ces écrits appartiennent-ils ? Comment les auteurs justifient-ils leur participation à un conflit impopulaire ? Comment présentent-ils la vie quotidienne au front du point de vue du fantassin, de l’artilleur, du marin, de l’aviateur ou du prisonnier ? Comment décrivent-ils l’ennemi allemand, italien ou japonais, les moyens de tenir, le retour au pays et les séquelles de la guerre ? Quels aspects du service outre-mer sont les moins abordés ? Ce livre apporte des pistes de réponses à partir des textes que je cite abondamment.
Outre la richesse de ces écrits, qu’avez-vous constaté en les parcourant ?
Ce qui est frappant, ce sont les manques, dans le corpus. Pour ce conflit, BAnQ ne possède aucun témoignage d’infirmière ou de femme ayant travaillé dans l’administration militaire. On recense peu de textes de militaires canadiens-français ayant servi dans une unité anglophone. Aucun médecin, aucun membre de la marine marchande, aucun de ces quelques Canadiens français ayant combattu en Afrique du Nord ou encore de ceux qui ont occupé des fonctions administratives dans l’armée ne semble avoir déposé d’écrits à BAnQ. Il est par conséquent quasi impossible de mettre la main sur ces textes, si toutefois ils existent.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire cet ouvrage?
Aux témoignages oraux colligés dans Laissés dans l’ombre (2004), j’ajoute ici les écrits de combattants en tant que matériau historique, voire littéraire. Ces écrits constituent le relais essentiel à la parole des derniers acteurs qui, soixante-cinq ans après la fin du conflit (1945-2010), sont à la veille de quitter ce monde. En ce sens, ils participent à l’élaboration de l’histoire des militaires canadiens-français. En insistant sur les trous dans le corpus, j’ai voulu montrer la nécessité de publier d’autres lettres, journaux et souvenirs inédits qui demeurent peut-être enfermés dans des archives familiales.
Qui sont les auteurs qui vous ont marqué ?
J’ai suivi le fertile sillon tracé par les historiens John Keegan, Paul Fussell et Stéphane Audoin-Rouzeau. Ces auteurs proposent une approche du phénomène guerrier fort innovante. Je m’appuie aussi sur le travail pionnier de Jean Norton Cru (1879-1949), qui a analysé des centaines de témoignages de soldats français des tranchées dans un livre intitulé Témoins (1929).
Du côté des témoignages, j’ai lu récemment Une femme à Berlin, un troublant journal personnel qui décrit, sur un ton d’objectivité pourtant poignant, la vie quotidienne de l’auteure dans Berlin tétanisé par la défaite et l’arrivée des Soviétiques, entre avril et juin 1945. À la peur, au froid, à la saleté, à la faim s’ajoutent les viols, la honte et la banalisation de l’effroi.
J’ai aussi été marqué par le classique de Norman Mailer, Les nus et les morts, un roman de guerre racontant la vie d’un peloton de soldats américains débarqués dans le Pacifique pour y affronter les Japonais. Un livre inoubliable.
Quels sont vos projets ?
J’aimerais collaborer avec un ancien combattant qui possède des écrits, ou avec son descendant, en vue d’ajouter une pièce à l’histoire des militaires canadiens-français de la guerre 1939-1945. Une histoire qui reste encore à être précisée, malgré les percées des dernières années.
Avez-vous une adresse électronique où vos lecteurs peuvent vous écrire ?
Oui : svincent16@hotmail.com
Voici aussi l’adresse de mon blogue : http://sebastienvincentilsontecritlaguerre.blogspot.com
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